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Teyé !

Chaemhet s’éveilla en sursaut. Sous l’effet de son rêve, il avait enlacé son épouse avec tant d’ardeur qu’il l’avait tirée du sommeil. Ayant recouvré ses esprits, il se tourna de son côté du lit pour ramasser son appui-tête tombé à terre.

Comme toujours, l’odeur familière de Mia le réconforta. Il lui caressa doucement le dos. Elle soupira d’aise et se détendit. Les yeux grands ouverts dans l’obscurité, Chaemhet sentit peu à peu le profond silence de la nuit apaiser le tumulte de ses pensées. Par la fenêtre, il distinguait la multitude d’étoiles lointaines constellant le ciel et, sur la rive opposée du Fleuve, à peine plus gros que des têtes d’épingle, les feux de camp orangés des ouvriers des tombeaux.

Teyé… Le souvenir de leur rencontre revint le hanter ; celle-ci n’avait pourtant rien que de très banal. À l’avènement du roi Ay, la direction du Harem du Sud avait été confiée à Chaemhet. Pour tout fonctionnaire aspirant à jouer un rôle majeur au sein du palais, cela représentait un pas de plus vers la responsabilité d’une maison royale. Chaemhet ne l’entendait pas autrement. Son prédécesseur, un eunuque kouchite entre deux âges, s’était éteint de consomption. Sur sa recommandation personnelle, le pharaon avait nommé Chaemhet, dont le père avait été un ami très proche du mourant.

Cette désignation lui avait valu quelques plaisanteries de la part de ses collègues, mais Chaemhet avait pris ses devoirs au sérieux et, pendant quelque temps, n’avait même pas porté les yeux sur les trois cents recluses dont il avait la charge. Elles passaient de longues heures à tisser, et il lui incombait de préparer la vente des riches étoffes qu’elles fabriquaient. Il organisait également un roulement pour les présenter devant Ay. Au cours des deux années suivant le couronnement, peu de concubines furent appelées par le roi. Certaines ne l’avaient jamais vu, sans même parler de partager sa couche. La plupart de ces jeunes filles, d’une beauté tantôt originale, tantôt barbare, étaient des étrangères, cadeaux de princes et de chefs d’État. Certaines avaient des cheveux d’or – c’étaient celles-là que Chaemhet trouvait les plus étranges : des femmes vulgaires à l’ossature large, dont la peau laiteuse rougissait et brûlait au soleil. Les autres, au teint mat ou olivâtre, venaient des pays voisins ; quelques-unes étaient noires et avaient les traits épais d’Ouaouat et de Kouch.

Il avait remarqué Teyé pour la première fois pendant les préparatifs de la fête d’Opet, où le gynécée jouait un rôle non négligeable. Les Morts étaient conviés à festoyer avec les vivants, et leurs âmes, quittant les Champs d’Éarrou[12], regagnaient la Terre Noire pour y être honorées. Le palais leur offrirait cette année cinq cent cinquante galettes plates, cent miches de pain blanc, cinquante jarres de bières rouge et noire brassées par les dames du harem. Lors du banquet donné pour l’occasion, Teyé dirigerait l’orchestre féminin chargé de divertir les invités.

Chaemhet était déjà l’intendant d’Ankhsenamon quand se produisit leur première rencontre. En tant qu’organisateur du festin, il avait toute latitude de s’entretenir avec les concubines chargées d’en assurer le bon déroulement, en dehors du protocole. Il considérait son mariage comme une complète réussite et se félicitait d’être un chef de famille, un homme rangé, pris dans la routine d’une carrière somme toute prometteuse. Cette banalité même le rassurait. Il n’avait jamais aimé la polémique ni défendu des opinions subversives. Il tenait à son confort et se croyait bien protégé par les murailles qu’il avait dressées autour de lui, lorsqu’il fit la connaissance de Teyé. Il fut immédiatement frappé par sa beauté et apprit avec stupeur qu’elle avait vingt ans – une vieille femme, selon les critères du harem où les plus jeunes étaient âgées de quatre ou cinq ans. Il s’étonna qu’une telle personnalité ne se fût pas fait connaître à lui auparavant, d’autant qu’elle était un présent de Keftiou[13]. Elle était entrée au harem peu après la nomination de Chaemhet, et aurait dû, comme toute nouvelle venue, se présenter à lui. Mais, lui expliqua Teyé, elle était alors trop farouche, trop pleine de nostalgie pour sa patrie. Arrachée à sa famille et à l’homme auquel elle était promise, ne connaissant pas la langue de ce nouveau pays devenu le sien par la force des choses, elle se voyait condamnée à une vie de chasteté en groupe, rompue par de rares et violents moments d’intimité avec un étranger qui ne connaîtrait même pas son nom.

Teyé sut sonder Chaemhet et devina que cette vie soigneusement planifiée laissait peu de place au plaisir des sens. Armée de cet indice, il lui fut facile de trouver la faille. Il lui suffit, en fait, d’un regard pour le rendre fou. Mais elle sentit seulement qu’ils avaient quelque chose en partage lorsqu’ils préparèrent ensemble le banquet d’Opet, dont ils devaient être les maîtres de cérémonie.

Elle le comprit bien avant Chaemhet, qui, lui, était obnubilé par le coût du festin. Ay aimait à connaître le poids précis du grain. Sous ses immédiats prédécesseurs, et notamment Akhenaton – le Grand Criminel –, le pouvoir avait cessé de se répercuter à travers la Terre Noire pour se concentrer dans une nouvelle capitale, la cité de l’Horizon, dont les ruines n’étaient plus habitées que par les démons. À cette époque, une gangrène insidieuse avait affaibli l’État, le pharaon en place négligeant les rouages administratifs pourtant vitaux pour le pays au jour le jour. Bien que le nouveau roi Ay eût révoqué des milliers de fonctionnaires pour les envoyer vers l’exil ou vers la mort, la plaie n’était pas encore cicatrisée. Une cellule de jeunes collecteurs d’impôts avait été instituée pour compenser les pertes que la corruption avait infligées au Trésor Blanc. Ils s’étaient abattus tel un fléau sur la Terre Noire, mais, en dépit de leur zèle, ils ne pouvaient accomplir de miracle. Les dernières récoltes avaient été maigres. Ay faisait mesurer tous les mois le niveau du Fleuve, car ses revenus dépendaient plus encore de la crue que des mines d’or.

Vu ces circonstances, Chaemhet avait grand mal à obtenir les sommes colossales nécessaires aux réjouissances. Toutefois, il trouva un allié dans le khou[14] du pharaon, qui poussait celui-ci à réaffirmer constamment son pouvoir face à son rival, Horemheb. Ay résista, fulmina et temporisa, mais finit par céder, dans son désir d’offrir au peuple des festivités grandioses qui lui permettraient de démontrer sa puissance.

Cette nuit-là, Chaemhet revécut mille fois dans son cœur l’instant triomphal où il avait quitté le palais, fort de la promesse du roi. C’était l’apothéose de sa carrière et de sa vie ; il avait envie de la célébrer dignement, mais Mia n’était pas la compagne idéale pour fêter ce bonheur intense. Il écouta le souffle paisible de sa femme, qui lui tournait le dos. Elle ne se serait pas opposée à ce qu’il prît une seconde épouse ; simplement, il n’en avait jamais éprouvé le désir. Et maintenant, il n’avait pas trouvé mieux que de s’éprendre, entre toutes, d’une femme appartenant à Pharaon !

Sous la légère morsure des premiers rayons du soleil, Chaemhet fut saisi d’un besoin impérieux de partager son triomphe avec celle qui s’investissait autant que lui dans cette mission. Il regarda le dieu Rê modifier la couleur des maisons à mesure qu’il s’élevait dans le ciel, raccourcissant les ombres, et son cœur se réjouit. À cet instant précis, il eut la vision des yeux brillants de Teyé – des yeux sombres, presque trop grands pour l’ovale délicat de son visage encadré par un flot de boucles noires. Sans réfléchir, il se rendit aussitôt là où il était sûr de la trouver – la salle où elle répétait avec ses musiciennes.

Elle avait le dos tourné et dirigeait ses femmes, installées sur une estrade. La musique, qui résonnait sur les murs de pierre et le plafond haut, semblait prêter vie aux dieux gigantesques peints entre les demi-colonnes. L’orchestre se composait de deux doubles flûtes, deux chalumeaux, deux tambours et deux chanteuses. Alors que Chaemhet s’approchait, Teyé interrompit le morceau pour donner une indication d’une voix vibrante, puis rejeta sa chevelure en arrière tout en redonnant la mesure. Son corps semblait habité par un rythme nerveux, pareil à celui de la Grande Verte que Chaemhet n’avait jamais vue, mais qu’il imaginait d’après les descriptions qu’il avait entendues. Un vaste désert d’eau jamais en repos, qui fractionnait la lumière en milliers de scintillements, se ruait en avant puis reculait, réduisant le Fleuve placide aux dimensions d’un nain.

Les musiciennes avaient vu entrer Chaemhet. Sa présence n’ayant rien d’insolite, elles ne manifestèrent aucune surprise. Il attendit patiemment la fin de la répétition. Il aurait juré que Teyé savait qu’il était là, pourtant elle ne se retourna pas avant que les instruments fussent posés pour la dernière fois. Les chanteuses apaisèrent leur gorge sèche en buvant à longs traits de la bière tiède.

Et puis elle se retourna.

Chaemhet ne s’était jamais véritablement remis du regard qu’elle lui avait lancé alors – un regard comme on en reçoit rarement dans toute une existence. Il eut la sensation d’être enveloppé d’une lumière chaude et dangereuse. Dans les yeux de Teyé, il lisait bien davantage que tous les langages du monde ne sauraient exprimer. Rien de ce qu’elle lui avait dit par la suite n’avait été aussi fort que le message de son regard en cet unique instant. À compter de ce moment-là, elle avait pris possession de lui. Ou plutôt, elle avait fait de lui un homme libre, un homme heureux. C’était un sentiment complexe, mais il ne trouvait que ces mots-là en sentant son cœur prendre son essor tel un oiseau s’envolant de sa cage.

Rien de plus ne s’était produit. Il restait encore trop à faire, et trop peu de temps avant Opet. Mais au jour dit, la fête fut une totale réussite.

Ay avait commandé un repas principal de mille couverts. Chaemhet avait dû passer au crible le zoo de la capitale pour adjoindre des singes supplémentaires à ceux déjà formés au rôle de porteur de torche. La seule anicroche fut causée par l’un d’entre eux qui, la nuit venue, se brûla les pattes et, dans un hurlement de terreur, jeta le brandon enflammé par-dessus la tête des dîneurs. Affolé, il détala en bondissant sur les tables, renversant les coupes et les gobelets de bronze, brisant la vaisselle en faïence et en terre cuite. Sa panique se communiqua aux invités les plus proches, aussi fallut-il quelque temps pour rétablir l’ordre, bien que la torche eût immédiatement été éteinte et le fauteur de troubles remplacé par un vieux babouin docile, qui aidait d’ordinaire aux pressoirs.

L’atmosphère de la grande salle était saturée jusqu’à l’écœurement par les cônes à parfum que toutes les femmes et quelques hommes portaient sur leur perruque d’apparat. La graisse imprégnée d’effluves était constamment remplie par des jeunes filles, nues à l’exception de lourds pendants d’oreilles et d’une ceinture de perles, qui circulaient parmi les convives. Certaines servaient des mets succulents présentés sur des plats en bois massif ; d’autres proposaient du vin – par ordre du roi, seulement les meilleurs crus maréotiques. Quelques-unes encore, munies de coupes en bronze à larges bords, restaient bien en vue au milieu des centaines de tables du bas, guettant l’appel à l’aide d’un dîneur ayant trop fait bombance. Un certain Paouah, réputé pour sa gloutonnerie, fut malade par cinq fois au cours du festin. Après s’être vidé, il continua à manger et à boire jusqu’à ce qu’on l’emporte enfin, tout puant.

Chaemhet était partout à la fois. Il se frayait un chemin entre les tables, lui-même presque grisé par les odeurs de bœuf rôti, d’huile de palme et de vin. Il s’était interdit toute boisson à l’exception d’un ou deux gobelets de bière rouge, peu alcoolisée, et ne mangerait qu’à l’issue de la fête. Il était soulagé que tout se déroulât si bien et, plus d’une fois, il jeta de loin un coup d’œil vers Ay, qui présidait les tables d’honneur dans la tribune avec un mince sourire révélant sa satisfaction.

Les parures des invités étincelaient de mille feux dans la lumière vacillante des flambeaux, et même dans la pénombre, sur les côtés de la salle que leur halo ne pouvait atteindre, on voyait luire les boucles d’oreilles et les colliers d’or. La soirée s’avançant, quelques couples s’éclipsèrent dans l’ombre, où des divans garnis de coussins de lin avaient été disposés. Plus tard, ils regagnèrent leur table et reprirent la conversation tout en poursuivant leur repas.

Pendant les longues pauses séparant les principaux plats de viande, des acrobates souples et légers exécutaient des sauts périlleux sur une estrade, au milieu des tables. Des filles solides, aux cuisses fines et musclées – des compatriotes de Teyé –, s’élançaient sur les épaules massives de Kouchites pour former des pyramides humaines aussi stupéfiantes qu’éphémères. Toute la soirée, le brouhaha des conversations fut accompagné par la musique de l’orchestre, dont la virtuosité, pensa Chaemhet, eût mérité un plus digne public. Cette musique-là se devait d’être écoutée en silence. Mais lui-même avait rarement le temps d’y prêter l’oreille.

Enfin, tout fut fini. Ay se leva et partit en compagnie de ses épouses après qu’on eut servi les précieux fruits du depeh[15] dans des paniers aussitôt vidés. Ce fut le signal du départ pour les plus nobles invités ; mais aux tables du bas, beaucoup s’attardèrent, leur maquillage coulant, leur cône à parfum fondu dégoulinant sur leur perruque ; ils ne pensaient qu’à s’empiffrer jusqu’à ce que l’aurore leur rappelle impitoyablement que le plaisir ne dure qu’un temps. Chaemhet, lui, se sentait frais et dispos. Il s’était changé deux fois au cours du banquet et ressentait la calme supériorité de l’homme sobre au milieu des ivrognes.

Les gardiens des portes avaient ouvert les grands portails nord pour laisser entrer la lumière du soleil levant. De longs rais tombèrent sur la salle, suivis d’une brise qui dissipa bien vite les relents d’alcool et de sueur qui s’étaient infiltrés dans tous les recoins pendant que le soleil cheminait dans la Barque de la Nuit[16]. Une jeune femme, grasse avant l’âge, s’était accroupie en une triste posture et vomissait dans une coupe en cuivre, s’y accrochant comme si sa vie en dépendait. L’homme qui l’escortait avait passé un bras autour de ses épaules, mais les frôlait à peine en un geste timide de réconfort. Embarrassé et nerveux, il jetait des regards autour de lui, aspirant plus que tout à quitter sa compagne et à s’en aller. Chaemhet envoya une des servantes les assister par ses bons offices.

Il était inutile de rester pour superviser le nettoyage, qui avait déjà commencé. Les assiettes s’entrechoquaient avec un tintement mélancolique dans la froide clarté du matin. Chaemhet était libre de s’en retourner chez lui, pourtant il s’attardait. Le banquet était un franc succès dont l’honneur rejaillirait sur Ay. Alors, le pharaon ne manquerait pas de se rappeler l’intendant. Celui-ci restait-il pour savourer son triomphe ?

Les acrobates étaient partis depuis longtemps, mais les musiciennes rangeaient leurs instruments dans des paniers et retouchaient avec lassitude leur maquillage avant de regagner le harem. Peut-être retardaient-elles le moment du départ, elles aussi, avides de demeurer quelques instants encore dans le monde du dehors. Les pas de Chaemhet le portèrent vers les femmes, mais Teyé n’était pas parmi elles. Mesurant sa déception, il sut qu’il n’était resté que pour être auprès d’elle, certain qu’elle ne partirait pas sans ses compagnes. Mais après tout, rien dans le protocole ne le lui interdisait. Même sans escorte, les femmes retournaient au harem : elles n’avaient aucun autre endroit où aller.

Chaemhet envisagea de s’enquérir de Teyé, puis hésita. Il n’avait plus aucune raison valable de se soucier d’elle, plus aucune excuse pour rechercher un tête-à-tête. Pourtant, il s’attarda près des musiciennes, sous prétexte de critiquer l’équipe de nettoyage qui s’affairait à la table voisine.

Il eut conscience de sa présence avant même de la voir. Était-ce son parfum ou son aura ? L’avait-elle appelé dans son cœur ? Le plus troublant était ce mélange de soulagement et d’anxiété qu’il sentit monter en lui à l’idée qu’elle était là. Un moment plus tôt, il était déçu, mais indemne. Il se trouvait maintenant confronté à une force qui l’arrachait à sa forteresse et le jetait, nu, sur le sable.

Il se tourna pour lui faire face, rencontra de plein fouet son regard envoûtant et sut qu’il avait capitulé avant même de livrer bataille. Mais il n’était pas prêt à renoncer à tout pour cette femme-là… pas encore. Il connaissait trop bien les risques qu’il courrait en s’embarquant dans une liaison avec une concubine royale.

Allongé sur son lit, Chaemhet contemplait la nuit en souhaitant que le ciel s’éclaire enfin. Il se sentait moite, sous le drap, et se serait levé s’il n’avait craint de réveiller Mia. Il battit des paupières pour apaiser ses yeux brûlants. Jusqu’alors, il avait su tirer son épingle du jeu. Son épouse ne se doutait de rien, en dépit de son cœur soupçonneux. Lorsqu’il imaginait sa carrière anéantie à cause d’une femme, les jambes lui manquaient. Mais pour l’instant il était apprécié, écouté, il pouvait s’élever encore plus haut. Dès le lendemain, il romprait. Teyé comprendrait, elle si discrète, si pleine de sollicitude ! Il ne savait par quel miracle nul n’avait découvert leur secret. Il est vrai que leurs rencontres n’étaient guère fréquentes – une fois tous les dix jours, pendant deux heures de la barque-seqtet quand la cité était endormie. Le cœur de Chaemhet revint une fois de plus à l’instant fatidique.

Sans un mot, elle s’était contentée de lever vers lui un regard interrogateur, à la fois plein d’espoir et un peu narquois. Un regard à rendre fou. Elle savait. Elle avait tout compris et il ne pourrait rien y changer.

« Tu as accompli un travail remarquable, dit-il d’une voix solennelle.

— Pour la plus grande gloire de mon seigneur et maître », répondit-elle sur le même ton.

Mais, dans leurs yeux, les mots cascadaient telles les eaux d’une cataracte. Malgré lui, Chaemhet regarda alentour pour voir si on les observait. Pourtant, leur conduite n’était nullement répréhensible. En vertu de ses fonctions passées et présentes, Chaemhet était parfaitement libre de converser en public avec une dame du harem.

« J’ai une chambre pour moi toute seule, à présent, murmura Teyé.

— Vraiment ?

— Une faveur accordée aux femmes plus âgées. Le roi ne requiert plus ma présence. Tu es bien placé pour le savoir.

— C’est vrai. »

Teyé avait partagé la couche du pharaon à maintes occasions. Il fut un temps où il la traitait en favorite. La connaissant enfin, Chaemhet ne s’en étonnait pas. Une telle femme était mille fois préférable à une petite princesse timide et sans grâce, venue de quelque province reculée.

« Tu ne nous rends jamais visite ! continua-t-elle, élevant la voix juste assez pour que les autres femmes, prêtes à partir, tournent la tête.

— Je ne suis plus le directeur du harem, lui rappela Chaemhet, essayant de ne pas balbutier.

— Non, et notre sort t’est devenu indifférent.

— Je ne doute pas que l’on vous traite avec égards.

— Comme te voilà pompeux ! Est-ce ton rang élevé qui t’a rendu ainsi ?

— Je suis heureux que vous vous souveniez de moi.

— Tu restes à jamais dans nos cœurs. »

Une des femmes pouffa de rire, et les autres ne purent retenir un sourire.

« Reviens nous voir ! » dit Teyé.

Elle l’avait quitté sans attendre de réponse, sans même un regard en arrière.

Cela avait suffi. Il avait saisi le premier prétexte pour se rendre au harem deux jours plus tard, à l’heure où peu de gens étaient dans les parages.

Teyé possédait effectivement sa propre chambre. Elle ne montra pas qu’elle l’attendait et il n’avait pu l’avertir de sa venue. Jusqu’au dernier moment, il s’était senti sidéré par la folie qu’il s’apprêtait à commettre et, durant cette première visite, il crut évoluer dans un songe. Il ne resta pas longtemps, mais, comme un guerrier pendant la bataille ou un dormeur dans son rêve, il remarqua chez Teyé une multitude de détails : un minuscule grain de beauté juste au coin externe de l’œil gauche ; ses pieds étroits, légèrement tournés en dedans ; les doigts de sa main droite, légèrement plus longs que ceux de la main gauche. Ses dents blanches luisaient quand elle souriait, ce qu’elle faisait souvent, et deux parmi celles de devant se chevauchaient. Chaemhet mourait d’envie de la toucher, toutefois il s’était maîtrisé : il répugnait à se soumettre au pouvoir de cette femme, sachant d’expérience qu’un harem était un nid de vipères. Par précaution, il rendit visite à plusieurs autres recluses, puis, avant de partir, à son successeur, Géoua, un nain dont le pagne de cérémonie se tendait sur une imposante bedaine. Mais dès lors, son désir grandissant de jour en jour, Chaemhet ne pensa plus qu’au moyen de revoir Teyé en cachette.

La première étape consista à faire intervenir Imbou, son fidèle serviteur, un homme doux et taciturne qui lui était attaché depuis l’enfance et qui eût volontiers donné sa vie pour lui. Celui-ci fut chargé de trouver une chambre confortable du côté du port où, au milieu d’une population toujours changeante, nul ne poserait de question. Imbou accomplit sa mission et joua le rôle du locataire, payant le propriétaire qui ne venait jamais sur place. C’était un pilier des séances de senet qui avaient lieu presque toutes les nuits à la taverne du quartier sud, dans l’enceinte du palais. Chaemhet y jouait, lui aussi, et le connaissait vaguement. À sa profonde horreur, il s’aperçut que ce petit détail de son plan l’excitait encore plus. Tous ses actes avaient pour lui l’irréalité d’un rêve. Son khou lui répétait sans relâche que non content d’être infidèle à son épouse, il cocufiait le roi.

En outre, du point de vue diplomatique, si Teyé était une concubine, elle était aussi un présent. Chaemhet, haut fonctionnaire de Pharaon, abusait de la confiance d’un État vassal en avilissant son cadeau.

S’il était découvert, il risquait d’être enterré vivant.

Tel était le châtiment. Pourquoi, alors, acceptait-il de courir ce risque suicidaire ? Son ab lui disait qu’il ne risquait rien. Teyé n’était plus la favorite et ne l’était pas restée longtemps. Probablement Ay l’avait-il oubliée. S’il avait jamais aimé une femme, c’était la Grande Épouse Royale. En outre, ces jours-ci il était accaparé par sa nouvelle reine et le désir forcené d’avoir un héritier. Personne ne prêtait plus attention à Teyé.

Certes, convenait sa raison, mais qu’en était-il de ses ennemis ? Pourquoi prêter le flanc à des attaques ? Teyé demeurait une concubine royale. Ay ne pourrait fermer les yeux devant une telle insulte ! Un bref instant, Chaemhet songea à Sahourê, le Grand de la Troisième Maison. S’il venait à l’apprendre, quel usage ferait-il de cette information ?

Son cœur vola tel un papillon vers Teyé. Et elle, pourquoi prenait-elle un tel risque ? Son destin ne serait pas la mort – aucun habitant de la Terre Noire n’eût offensé un pays vassal en tuant un présent humain –, mais elle serait condamnée à vivre en recluse dans sa chambre. Privée de soleil, de tout contact avec ses semblables, elle se fanerait et dépérirait en quelques saisons.

Elle aussi serait enterrée vive, à ceci près que son agonie serait plus lente, car Teyé, elle, serait nourrie.

Ainsi, le Grand Intendant réfléchissait tandis que ses yeux las scrutaient l’obscurité, aspirant à voir renaître l’aube. Il savait qu’il ne pouvait plus se passer de Teyé. Maintenant qu’il l’avait possédée, il ne parvenait plus à refréner son désir. Elle avait débridé en lui des instincts insoupçonnés. Ils n’avaient rien en commun ; elle était barbare et inculte, en dehors de sa musique, qui semblait faire partie d’elle au même titre que sa créativité sexuelle. En la matière, elle déployait une imagination à l’opposé du devoir conjugal tel que le concevait Mia. L’une était une cascade d’eau vive, l’autre un canal stagnant entre des champs. Auprès de Teyé, les mots devenaient inutiles tant leurs corps se comprenaient.

Chaemhet ignorait par quels subterfuges elle réussissait à s’échapper du harem. Sa troupe de musiciennes préparait les cérémonies prévues au calendrier de la cour ; peut-être prenait-elle les répétitions pour prétexte. Elle était peu sage, si elle comptait sur le silence de ses compagnes ! Combien de femmes s’étaient-elles aperçues de son absence ? Avait-elle acheté la complicité du nain ? La possibilité existait, bien qu’elle n’eût jamais réclamé d’argent à Chaemhet. Autant de questions qu’il n’osait lui poser.

Un jour pourtant, ils étaient étendus sur le grand lit qui constituait le mobilier de la pièce avec une table de toilette et un tabouret. C’était la fin du jour, et le soleil filtrait à travers la fenêtre en longs rayons d’un jaune intense, presque opaque. Alanguis par la chaleur, les amants enlacés se caressaient doucement, savourant la tendresse après la passion.

« Qu’est-ce qui t’attire en moi ? demanda Chaemhet.

— Tu m’étais destiné de toute éternité. »

Il crut se perdre dans son regard. Saisi par une peur mêlée d’excitation, il sut qu’il venait de s’enfoncer un peu plus dans les eaux troubles qui risquaient de l’engloutir. Il enfouit son visage au creux du cou de Teyé et huma lentement son parfum. Il n’était pas rassasié d’elle, il ne pouvait plus vivre sans elle. La jeune femme rit, l’étouffant dans une étreinte presque maternelle sous la masse noire de ses cheveux. Elle savait.

 

Dans sa chambre, Chaemhet ouvrit les yeux. Il avait fini par sombrer dans le sommeil et la place de son épouse était froide. Mia s’était levée pour procéder à sa toilette et peut-être prendre son petit déjeuner. Chaemhet sentait l’odeur appétissante des gâteaux au miel à peine sortis du four, et de la purée de haricots en train de frire. Le soleil apportait l’apaisement à son cœur las. Il resta quelques moments encore dans la tiédeur des draps, heureux que ses démons nocturnes eussent disparu le temps d’un nouveau voyage des barques solaires. Comme pour la plupart des hommes, la lumière du jour dissipait ses angoisses et lui donnait une assurance illusoire… jusqu’à la prochaine nuit.

Il se tourna pour regarder par la fenêtre, mais ses yeux confirmèrent ce que son cœur savait déjà. Rê venait à peine d’éclairer l’horizon. Chaemhet n’était pas en retard, malgré son insomnie. Il rejeta le drap, se leva en dénouant l’étroit pagne lombaire qu’il portait au lit et savoura la caresse du vent sur son corps en sueur.

Imbou s’approcha, muni d’une serviette dont il l’enveloppa pour le sécher, puis l’aida à enfiler une tunique. En traversant l’appartement vers la vaste pièce à ciel ouvert, donnant sur le Fleuve, où le couple prenait le repas du matin, son travail de la journée se déroula dans son cœur. Quelques points de détail restaient à régler en rapport avec le très prochain départ de la Deuxième Épouse et de sa suite, néanmoins les principales dispositions avaient déjà été prises et le reste pouvait être confié aux soins des sous-intendants en toute quiétude.

Durant ses heures de veille, Chaemhet avait pris une décision. Il y songeait depuis longtemps mais l’avait chaque fois remise à plus tard, comme font si souvent les hommes confrontés à la vérité. Connaissant la réputation de son ami Huy, il avait résolu de lui demander conseil. Peut-être ses craintes étaient-elles sans fondement. Ragaillardi à cette idée, il sourit à son épouse, qui elle aussi parut l’accueillir avec plaisir.

« Tu es bien matinale ! constata-t-il.

— C’est vrai », dit-elle sans cesser de sourire.

Chaemhet se servit du lait chaud et du miel. Un serviteur lui proposa des dattes et des petits légumes marinés au vinaigre, qu’il refusa d’un signe de main. L’insomnie lui avait coupé l’appétit.

Il observa Mia et pensa qu’il connaissait ce sourire-là. C’était une invite à une question.

« Tu as une nouvelle à m’annoncer ?

— Oui.

— Est-elle bonne ? »

Elle se pencha vers lui et posa une main déjà moite sur son bras.

« Oui, en vérité !

— Je suis tout ouïe.

— Bientôt, tu devras préparer le pavillon de naissance. J’ai consulté la sage-femme, qui m’a confirmé que j’attendais un enfant. Après m’avoir ointe d’huile-béhen, elle m’a annoncé que dans trois cycles lunaires cet enfant verrait le jour. »

Le cœur de Chaemhet se divisa et lui fit entendre deux voix. L’une lui disait : « Réjouis-toi ! » et l’autre, forte et pleine d’espoir : « Dans la matrice réside aussi la mort pour le fœtus, comme pour celle qui le porte. »

 

Huy écouta Chaemhet et sentit immédiatement que celui-ci ne lui avait pas tout dit. Il avait scellé les étroits couloirs cachés au fond de son cœur, où les démons étaient tapis. Mais le peu qu’il avait entendu suffit à lui faire considérer son vieil ami à demi oublié avec un mélange de compassion et de tristesse.

« Que puis-je faire ? demanda Chaemhet, heureux d’avoir confié ses tracas, mais conscient que ce soulagement serait de courte durée.

— Si tu souhaites recouvrer ton indépendance, il faut surmonter ta faiblesse et couper court à cette liaison.

— Je dois rompre avec les deux.

— Non.

— Mais pourquoi… ?

— Sûrement pas en même temps, et peut-être n’est-il pas indispensable de mettre un terme à ton mariage. Cependant, tu dois te détacher de Teyé. Vous êtes devenus vos propres geôliers.

— C’est une prison bien douce.

— De même que la boisson, répliqua Huy, qui avait fait l’amère expérience de cette prison-là et n’en était pas encore sorti, quoiqu’il aperçût la lumière au bout du tunnel. D’ailleurs, puisqu’elle est si douce, pourquoi ne souhaites-tu pas y rester ? »

Chaemhet lui lança un regard meurtri. Il savait, hélas ! que Huy avait raison.

« Lui as-tu parlé ? reprit le scribe.

— Pas encore.

— Pourquoi ?

— J’appréhende sa réaction.

— Qu’as-tu à craindre ?

— Elle ne me laissera pas partir.

— Elle ne peut te retenir contre ta volonté. Quel pouvoir a-t-elle sur toi ? »

Sans mot dire, Chaemhet baissa les yeux. Huy comprit : Teyé ferait un scandale. Mais comment le pourrait-elle sans en pâtir ?

« Vous êtes prisonniers l’un autant que l’autre, dit-il à son ami. En s’accusant, elle s’attirerait le courroux du pharaon.

— Elle s’y résoudrait peut-être.

— Rares sont ceux qui souhaitent leur propre perte.

— De telles personnes existent.

— Seulement celles qui sont lasses de la vie et de la solitude. »

Chaemhet aurait voulu se confier davantage, expliquer à Huy que cette femme l’envoûtait. Mais son amour-propre l’en empêchait ; et, de toute manière, cela n’aurait servi à rien. Lui seul pouvait se dégager des rets que Teyé avait tendus autour de lui, et malheureusement le courage lui manquait.

« Que veut-elle ? soupira-t-il.

— Toi, tout simplement, répondit Huy.

— C’est un espoir impossible.

— Depuis quand Hathor permet-elle aux hommes de rester lucides ?

— Les femmes sont plus lucides que nous sous le fouet d’Hathor. »

Huy était trop conscient de la justesse de ces paroles pour le contredire. La grossesse de Mia n’arrangeait rien. Bien entendu, Chaemhet avait feint d’en être heureux, mais Huy devinait ses sentiments et en était navré, tout en les comprenant. La vie ne laissait pas de repos.

« En quoi puis-je t’aider ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas… Dis-moi ce que je dois faire.

— Je te l’ai dit, mais tu ne t’y sens pas prêt. »

Chaemhet regarda en lui-même et se remémora ces après-midi arrachés au temps, tous ces instants magiques qu’elle et lui s’étaient tissés dans leur petite chambre. Il songea à cette passion dont il ne pouvait se passer et à l’ascendant que Teyé exerçait sur lui. S’il rompait, le trahirait-elle pour se venger ? Avait-elle autant besoin de lui que lui d’elle ? Il l’ignorait, et son angoisse durerait aussi longtemps que cette incertitude. Une pensée ténébreuse, dont il se garda de parler, commençait à s’insinuer dans son cœur.

« Il doit bien exister une solution… dit-il enfin.

— Prends ton mal en patience. Le temps est le meilleur des médecins. Il guérit tout.

— Les proverbes ne sont que du vent ! répliqua Chaemhet.

— C’est que, vois-tu, je t’imagine très mal en assassin. »

Le Grand Intendant tressaillit et se mordit les lèvres.

« Malgré mon désir de te venir en aide, je crains de ne pouvoir t’être d’une grande utilité, poursuivit Huy comme si de rien n’était. Le roi m’a ordonné de me cantonner à mes devoirs de scribe. Il est vrai qu’autrefois j’aidais les autres à résoudre leurs problèmes pour gagner mon pain, dans la faible mesure de mes moyens. Mais, bien souvent, j’étais tout autant qu’eux le jouet des événements. L’issue réside entre les mains des dieux.

— C’est toi qui parles ainsi ? Toi, qui as vécu à la cour de l’ancien roi ?

— Et que d’ennuis cela m’a valus ! Tu as été bien inspiré de ne pas te joindre à nous, en ce temps-là.

— Je ne me souciais que de ma carrière.

— N’est-elle plus ta préoccupation première ?

— Elle est devenue ma prison.

— Nous vivons dans toutes sortes de prisons – une pour chacun des dix jours de la semaine.

— Serais-tu devenu paresseux ? lâcha Chaemhet d’un air pincé.

— Paresseux, non, mais blasé, sûrement. J’ai depuis bien longtemps l’impression d’être revenu de tout.

— Pourtant, tu avais foi en son Enseignement ! Il disait que nous n’étions pas des pions entre les mains des dieux…

— Il se trompait.

— Crois-tu ? »

Huy écarta les mains, refusant de se laisser entraîner sur ce terrain.

« Son idéal s’est évanoui dans le désert oriental, avec Mosé[17] et ses disciples. Je ne les ai pas suivis.

— Que sont-ils devenus ?

— Cela ne concerne plus la Terre Noire. Ils sont partis et, nous, nous sommes toujours ici.

— Pourquoi disais-tu que tu me voyais mal en assassin ?

— J’ai lu en toi, répondit Huy en souriant. Tu es un homme de bon sens. Un tel geste serait concrètement de peu d’utilité. Comment t’y prendrais-tu ? Laquelle supprimerais-tu, et comment pourrais-tu vivre aux côtés de l’autre, après cela ? »

Penché en avant dans l’ardeur de la discussion, Huy ne livrait rien des soucis qui résidaient dans son propre cœur. Les conseils étaient toujours plus faciles à donner qu’à recevoir.

« Écoute-moi, l’exhorta-t-il. Renonce à Teyé. Reste auprès de Mia, mais prends une autre épouse. Trouve-toi tes propres concubines. »

Laissant Chaemhet se pénétrer en silence de cette conclusion, Huy leur servit du vin. Il ne pouvait rien faire de plus.

La cité du désir
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